Les formats de fichier propriétaires
Il y a quelques mois, j'ai reçu de ma commune une communication officielle par courrier électronique. L'effort pour entrer dans le monde des communications modernes était louable, malheureusement je n'ai pas pu lire le contenu du document. En effet, il était au format doc de Microsoft et je n'ai pas Office sur mon Mac. Lorsque j'ai demandé le document dans un autre format, mon correspondant m'a proposé un fax à la place, alors qu'il existe d'autres solutions. Voilà un exemple parfait des effets pervers des formats de fichier propriétaires.
Imaginez-vous en train d'écrire une lettre avec un stylo, du papier et des lunettes. Le stylo et les lunettes sont d'un genre spécial: ils sont appairés l'un à l'autre. Les lunettes ont la capacité de faire apparaître les lettres tracées par le stylo. Pour que votre correspondant puisse lire la lettre, il devra lui aussi posséder une paire de lunettes équivalente. Cette situation vous semble saugrenu? Et bien les formats de fichier propriétaires ont exactement le même effet!
Les formats propriétaires mettent en place un mécanisme d'enfermement du consommateur: un auteur investit dans un outil pour exprimer sa créativité; grâce à lui, il produit quelque chose sous la forme d'un fichier; il transmet sa production à un tiers pour partager les fruits de son travail; pour en profiter, le tiers a besoin du même outil que l'auteur car il est le seul capable d'ouvrir le fichier; le tiers n'a d'autre choix que d'acheter le même logiciel. Au final, l'éditeur du logiciel réalise une vente forcée sans aucun effort de sa part.
Ce «succès» de l'éditeur (la vente d'une licence supplémentaire) est en réalité la conséquence d'une défaillance du logiciel. En effet, du point de vue de l'utilisateur, le logiciel n'est pas capable de partager de l'information avec d'autres outils, ce qui est une faiblesse indéniable. La vie de l'utilisateur serait grandement facilité s'il lui était possible de faire passer ses fichiers d'un outil à un autre sans difficulté. Malheureusement, pour l'éditeur, un fichier qui voyage trop facilement est autant d'occasions manquées de conclure une vente. Il entrave donc la circulation des données grâce à un format de fichier qu'il est le seul à connaître, garantissant ainsi une faible circulation et la nécessité de passer par lui pour en profiter. Il prend ses utilisateurs en otage.
Ce procédé est injuste et contre-productif. D'abord parce qu'on achète un logiciel pour de mauvaises raisons: il s'impose car il comprend une catégorie de fichiers, pas parce que ses fonctionnalités rendent les services qu'attendent les utilisateurs; c'est ainsi qu'on se retrouve avec des logiciels médiocres, mais incontournables par leur format de fichier. Ensuite, parce que cette approche n'incite pas les éditeurs à améliorer leurs logiciels. Pourquoi feraient-ils des efforts lorsque leur format de fichier a enfermé les utilisateurs et a éliminé toute concurrence? Leur objectif est de placer la première licence. Pris au piège, l'utilisateur ne peut plus aller voir ailleurs.
Les formats de fichier ouverts sont un bon moyen de contrecarrer les éditeurs et de reprendre nos prérogatives de consommateur. Au contraire des formats propriétaires qui sont définis en secret en diffusant le moins d'information possible, les formats ouverts sont définis par la communauté, au grand jour. Leur objectif premier est de favoriser la circulation de l'information en fournissant toutes les indications nécessaires à la construction d'outils les supportant. Ils sont taillés pour rendre service à l'utilisateur, laissant le soin aux outils de se démarquer les uns des autres par les fonctionnalités qu'ils proposent. L'innovation est encouragée, l'utilisateur n'est plus esclave du format de fichier et peut choisir l'outil qui lui convient en toute indépendance.
Malheureusement, le piège des formats de fichier propriétaires est mal connu. Beaucoup d'utilisateurs tombent dans le panneau sans s'en rendre compte. Il faut acquérir de bons réflexes pour réagir face aux formats propriétaires. D'abord, il faut connaître les formats ouverts disponibles. Ensuite, chaque fois que vous recevez un document qui n'emploie pas un de ces formats (un fichier Word, par exemple), répondez à votre interlocuteur en lui expliquant qu'il vous a envoyé un fichier dans un format propriétaire non portable et demandez qu'il vous le renvoie dans un autre format en lui indiquant quelques possibilités. Finalement, quand c'est vous qui choisissez le format, privilégiez les formats ouverts chaque fois que c'est possible (Open Office est une bonne alternative à Microsoft Office).
C'est à nous, consommateurs, d'agir pour faire savoir aux éditeurs que nous ne voulons pas de leurs formats propriétaires. Nous devons nous battre pour récupérer les prérogatives qui sont les nôtres. Après tout, les éditeurs de logiciels devraient produire des outils pour nous rendre service, pas pour leur rendre service.
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