7 oct. 2007

L'appétit vient en mangeant


Parfois, il faut se forcer à faire quelque chose pour finalement avoir envie de le faire. Cette réflexion m'a été inspiré par la mise à jour de ce blog (que j'ai longtemps négligée ces dernières semaines), mais elle s'applique à beaucoup d'autres activités: photographie, musique, écriture de fiction, cuisine, etc. Je me suis demandé comment on pouvait créer l'envie par la contrainte.


La première explication qui me soit venue à l'esprit est que, peut-être, nous avons une mauvaise mémoire des plaisirs que nous éprouvons. Nous pratiquons certaines activités car elles nous procurent du plaisir (je ne parle ici que des loisirs), nous les choisissons dans ce but. Toutefois, après un certain temps, on oublie la nature du plaisir ressenti. Sans cette récompense clairement en tête, il devient difficile de se lancer dans l'activité qui en est la source. Néanmoins, dès que l'on s'y remet (en se forçant si nécessaire), la sensation de plaisir revient et nous pousse à continuer. Comme si on réactivait la mémoire du plaisir.


Une autre explication pourrait être liée à la maîtrise des distractions. Le choix de se lancer dans une activité est en concurrence directe avec une bonne dizaine d'autres sources potentielles de plaisir: la télé, le cinéma, un DVD, une promenade, un podcast, etc. S'obliger à entamer l'activité crée une sorte de bulle d'isolement qui repousse les autres sources de distraction en monopolisant l'attention. Les autres stimuli et leur plaisir potentiel ne peuvent par conséquent plus entrer en compétition avec le plaisir de l'activité en cours; un «tiens» vaut mieux que deux «tu l'auras».


Dernier argument: l'être humain est une créature d'habitudes. Nous nous complaisons dans ce que nous connaissons et que nous avons fait des centaines de fois; c'est rassurant. Seulement les habitudes ne sont pas stockées dans le cerveau conscient. On se souvient d'une habitude par les gestes et les réactions qui l'entourent. On se souvient d'une habitude en la pratiquant.


Je ne prétends pas avoir trouver les vrais raisons du phénomène, mais j'ai maintenant à disposition quelques arguments auxquels je pourrai me confronter quand j'aurai des réticences à me lancer dans une activité. Peut-être même arriverai-je à me convaincre grâce à eux.

16 sept. 2007

Peut-on «croire» en la science?


Le débat entre évolution et créationisme fait rage aux Etats-Unis. La première théorie soutient que la Terre et ses habitants ont évolué pendant des centaines de milliers d'années pour en arriver à l'état actuel; la seconde prétend que tout a été créé par Dieu il y a six mille ans. Les créationistes, loin d'avoir le dessus, revendiquent le droit de croire en leur théorie de la même façon que les scientifique croient en celle de la science. Ils considèrent la science au même niveau qu'une religion. C'est une analogie qui ne tient pas.


La confusion des créationistes est compréhensible car il existe des similitudes entre science et religion. D'abord, les deux essaient d'apporter des réponses à des questions difficiles: qui sommes-nous? D'où venons-nous? Pourquoi sommes-nous sur Terre? Qu'y a-t-il après la mort? Toutes ces questions surviennent un jour où l'autre dans la tête de chaque individu et leur trouver des réponses est réconfortant.


Ensuite, pour l'homme de la rue, les deux peuvent paraître mystérieuses. La religion ne dévoile pas clairement la nature profonde de ce que peut être un dieu. Une personne? Une entité? Nous-même? Un être supérieur? Un homme ou une femme? Ses réponses sont vagues, sans doute à dessein. De son côté, la science ne propose pas toujours des réponses accessibles. Soit parce qu'elles sont complexes (les mécanismes de fonctionnement d'un microprocesseur ne sont pas triviaux), soit parce qu'une partie de la réponse lui échappe encore (les mécanismes d'apparition de la vie, par exemple).


Pour en terminer avec les similitudes, je dirais que toutes deux sont sources d'espoir. Dans les moments difficiles, certains se tournent vers la religion pour obtenir du réconfort, d'autres vers la science. Dans les deux cas les motivations sont les mêmes.


Mais là s'arrêtent les similitudes. En fait, la religion et la science sont très différentes.


Là où la religion se base sur le dogme et la foie pour faire accepter les réponses qu'elle offre, la science use d'une démarche empirique en quatre temps. D'abord, on observe un phénomène. Ensuite, on essaie de le modéliser avec les outils de la science. Puis, on établit des prévisions grâce au modèle. Et enfin, on tente de valider les prévisions par l'observation. L'expérimentation remplace la foie. Le scientifique n'accepte pas une réponse pour ce qu'elle est mais pour ses effets quantifiables.


Il s'en suit que, contrairement à la religion, la science n'est pas figée. Les théories et les modèles scientifiques sont acceptés tant qu'ils rendent compte des mesures qui sont récoltées. Dès qu'une théorie s'éloigne de l'observation, on la change. C'est ainsi que la Relativité Restreinte a remplacé la physique Newtonienne, à son tour complétée par la Relativité Générale. A contrario, une fois qu'un dogme religieux est établi, il tente de persister par tous les moyens, même s'il est contredit par l'observation (Galillée a payé cher sa remise en question du modèle géocentrique de l'univers).


La science est construite par tous. Toute personne ayant acquis le langage d'expression de la science (mathématique, logique, physique...) peut entrer dans la danse et apporter sa pierre à l'édifice. Si l'apport est corroboré par la communauté et montre son utilité, il sera le bienvenu (c'est ce qu'a fait Albert Einstein alors qu'il travaillait au bureau des brevets de Berne). Il me semble que les religions ne fonctionnent pas de cette façon. Il n'y a bien souvent qu'une seule vérité qu'il est hors de question de remettre en cause. La parole des fidèles ne compte pas.


La construction de la science repose sur un échange d'information sans entrave. C'est en diffusant l'information et en la confrontant à la sagacité de la communauté que les progrès sont possibles. Quand on se souvient de l'obscurantisme qui a été entretenu et qui est encore entretenu par certaines religions, on ne peut s'empêcher de remarquer que science et religion sont plus différentes que semblables.


Un dernier point qui démarque la science de la religion: la science est vérifiable. Lorsque la science annonce quelque chose, tout un chacun peut en vérifier la véracité et même dénoncer la fraude quand il y a lieu. Les faits ou les événements qui sont à la base de la plupart des religions ne sont pas vérifiables. Ils sont même sources des spéculations les plus folles et sont défendus bec et ongle par les croyants sans aucune base.


Les mécanismes de fonctionnement de la science ne relève pas de la croyance. On ne croit pas en la science comme on croit en l'existence du divin. La science nous encourage même à une attitude diamétralement opposée: il ne faut pas prendre pour argent comptant tout ce qu'on peut entendre sans le vérifier et le recouper d'une façon ou d'une autre. La science encourage le scepticisme, pas la croyance.

25 août 2007

La revanche de la nature


Je viens de lire un article concernant les OGM qui se voulait alarmiste mais qui ne faisait qu'enfoncer des portes ouvertes. Il y était question des plantes génétiquement modifiées pour résister à un désherbant total et qui sont cultivées dans le monde. Le côté alarmiste provenait du fait que dans ces cultures, des mauvaises herbes commençaient également à résister à l'herbicide. Si cette constatation est inquiétante pour certains, je pense qu'elle est parfaitement explicable et surtout inévitable.


Des phénomènes similaires existent dans d'autres domaines. Par exemple, tout le monde a déjà entendu parler des antibiotiques inefficaces face à certaines bactéries devenues résistantes. En fait, les bactéries ne deviennent pas résistantes, il se trouve juste que toutes celles qui sont vulnérables aux antibiotiques disparaissent pour laisser la place à celles qui exceptionnellement ne le sont pas. Ces dernières se multiplient en transmettant leur caractère résistant et finissent par prendre toute la place, rendant les antibiotiques inopérants. L'exceptionnelle résistance d'un nombre infinitésimal de bactéries devient la généralité grâce à la sélection qu'opèrent les antibiotiques.


C'est la même chose avec les maladies nosocomiales, ces infections qui surviennent à l'hôpital. Elles sont très dangereuses car les agents infectieux qui les provoquent ne peuvent survivre dans le milieu hostile qu'est l'hôpital que s'ils ont une résistance supérieure à la normale aux mesures de désinfection. Ceux qui ne l'ont pas disparaissent, les autres restent et prolifèrent. Si bien que lorsqu'ils infectent un patient, il devient très difficile de passer outre leur résistance pour les éliminer. Encore une fois il s'agit d'une sélection.


Le cas de l'agriculture demande une mise en place préalable. Disons qu'une firme d'agrochimie invente un désherbant qui élimine tous les végétaux sans distinction. Puis elle modifie génétiquement des céréales pour les rendre résistantes à ce désherbant. Elle vend ensuite les semences aux agriculteurs en vantant leur côté pratique: il suffit de pulvériser toutes les cultures sans distinction avec l'herbicide, seules les céréales survivront; c'est redoutable de simplicité. La firme gagne sur tous les tableaux en vendant le désherbant et les semences. Et comme ces dernières sont stériles à la deuxième génération, l'agriculteur doit acheter des semences à chaque saison.


Tout se passe bien jusqu'à ce qu'une mutation génétique aléatoire rende une souche de mauvaise herbe résistante à l'herbicide. Comme pour les bactéries, il n'existent au départ qu'une infime minorité de mauvaises herbes aptes à résister. Mais comme toutes les autres sont détruites, la souche résistante se reproduit sans concurrence et finit par envahir le champ. C'est ainsi que l'agriculteur se retrouve avec les mauvaises herbes décrites dans l'article du début, suite à un simple mécanisme de sélection.


Une course à l'armement impossible à gagner est alors engagée. Si la firme d'agrochimie veut conserver ses profits, elle doit réagir. Elle le fait donc dans le domaine qu'elle connaît et applique une recette qui fonctionne: mettre au point un nouveau désherbant total qui détruit aussi les plantes résistantes; modifier encore les céréales pour les rendre immunes à ce nouveau désherbant; inonder le marcher. Le problème est que la nature est aussi très habile dans la modification génétique. Elle le fait d'ailleurs depuis bien plus longtemps que l'homme, avec plus de succès. Il ne faudra donc pas longtemps avant qu'une nouvelle génération de plantes parasites résistantes fasse sont apparition en provoquant le démarrage d'un nouveau cycle. Il n'est pas possible de gagner. L'expériences des hôpitaux montre que malgré des efforts considérables, il est impossible d'éliminer complètement les infections nosocomiales.


Que faire alors?


D'abord, pourquoi faudrait-il détruire complètement les mauvaises herbes? On le fait aujourd'hui pour maximiser les rendements, héritage d'une agriculture intensive qui a montré ses limites. Sur le même modèle que «les antibiotiques, c'est pas automatique», on pourrait ne se servir de désherbant que lorsque les mauvaises herbes sont réellement une menace. De cette façon, on mettrait quelques bâtons dans les roues de la sélection des mauvaises herbes; moins elle s'exprime, moins elle favorisera les souches résistantes. En n'utilisant des antibiotiques que lorsqu'ils sont nécessaires, on protège leur efficacité sur les bactéries tout en ne sélectionnant pas une population résistante. Il faut conserver l'exceptionnel exceptionnel.


On pourrait aussi utiliser les mécanismes de défense que la mature a mis au point. Utiliser des animaux friands des herbes qu'on cherche à éliminer; favoriser la prolifération des insectes mangeurs de parasites des cultures; contrôler la population d'insectes en invitant leurs prédateurs naturels. Les solutions que nous propose la nature sont éprouvées, elles fonctionnent. Elles ont le seul tort de ne pas être assez efficaces aux yeux des industriels. Mais faut-il être efficace à tout prix?


Les réticences de l'agriculture et de l'industrie agrochimique dans une approche plus symbiotique des cultures sont malvenues et surtout hypocrites. En effet, une grande partie des procédés impliqués dans l'agriculture échappe totalement à l'homme sans qu'il y trouve à redire. Par exemple, la pollinisation qui assure les récoltes de céréales et de fruits est entièrement prise en charge par les insectes, sans contrôle. Et ça fonctionne très bien.

15 août 2007

Payer avec le doigt


Reconnaître un interlocuteur est une tâche compliquée si on n'est pas en contact direct avec lui, ou si on demande à une machine de le faire. Elle requiert deux étapes: identifier l'interlocuteur (qui est-il?), puis authentifier l'interlocuteur (vérifier que c'est bien lui). Différents systèmes permettent de réaliser ces deux étapes. Il en existe une famille qui tente de le faire en mesurant des caractéristiques biologiques typiques, la biométrie. Un nouveau système biométrique «révolutionnaire» est apparu récemment. Même s'il ne corrige pas les défauts inhérents à ce genre de système, il semble avoir certains avantages. Malheureusement, appliqué sans discernement, il pourrait induire d'atroces mutilations.


Ce nouveau procédé est basé sur la reconnaissance du réseau vasculaire à l'extrémité de nos doigts. L'image est lue par un capteur puis est traitée par le système qui va à la fois identifier et authentifier le propriétaire du doigt. La simultanéité de l'identification et de l'authentification est possible car, comme pour les empreintes digitales, la forme des veines du doigt est unique à chaque individu et est difficilement falsifiable. Les promoteurs du système en font un produit idéal parce que, contrairement aux empreintes, la mesure est facile à effectuer.


Ce système n'est toutefois pas aussi miraculeux que cela. Comme tous les systèmes biométriques, il exclut mécaniquement une partie de la population. Si une personne ne possède pas les caractéristiques qui devraient être mesurées, elle ne peut être reconnue par le système, elle est exclue. Un malvoyant ne peut être identifié par son iris, une personne sans mains ne pourra se faire connaître grâce aux veines de ses doigts. D'accord, la probabilité de ne pas avoir de doigts est plus faible que celle de ne pas avoir d'yeux. Il n'empêche que des personnes sans mains existent. Est-il juste de concevoir un système qui exclut à priori toute une catégorie de population?


Lorsque la biométrie sert de serrure (ce qui est le cas avec ce système), on subit immédiatement le fait que ce qui est mesuré ne peut être facilement remplacé. Si vous perdez vos clés, vous changez la serrure, vous recevez de nouvelles clés qui vont avec et le problème est réglé. Si l'image de votre iris ou la configuration vasculaire de votre doigt est compromise, que faîtes-vous? Vous changez d'oeil ou de doigt? Nous n'avons que deux yeux et dix doigts, le nombre de clés de remplacement est limité.


L'identification par le doigt pose un autre problème lorsqu'elle est lié à un moyen de paiement (ce qui est aussi le cas dans ce nouveau projet). L'argent attire la convoitise, donc le vol. Les malfaiteurs étant pragmatiques, ils s'attaquent au maillon le plus faible de la chaîne de paiement. Par conséquent, plutôt que de s'en prendre à la transaction électronique ou au boîtier de mesure qui leur seront technologiquement inaccessibles, ils s'attaqueront au doigt lui-même. Je ne serais pas étonné de voir une recrudescence d'amputations sommaires à mesure que ce nouveau système d'identification/authentification se généralise.


Voilà un exemple typique de l'utilisation d'une technologie sans avoir réfléchi aux conséquences. Ce genre d'applications malheureuses est devenu une habitude dans nos sociétés. Par exemple, on sait produire de l'énergie en cassant des atomes d'uranium, mais que fait-on des résidus de la fission? Les biocarburants peuvent remplacer tout ou partie des carburants issus des hydrocarbures, mais comment allons-nous gérer la concurrence entre l'agriculture dédiée à l'alimentation et celle à destination des carburants? Aurons-nous l'arrogance de priver de nourriture une frange de la population pour faire avancer nos voitures?


De la même façon, si la reconnaissance des veines du doigt est appliquée aux moyens de paiement, ce sera la porte ouverte à un nouveau type de violence. Les vols de cartes ou de clés se transformeront en horribles mutilations si le butin en vaut la chandelle. Je suis certain que nombre de15 malfaiteurs n'hésiteront pas longtemps avant de franchir le pas. Par conséquent, il vaut mieux réserver ce système à des applications qui ne provoqueront pas une convoitise susceptible de valider l'amputation d'un doigt. En faire un moyen de paiement est une mauvaise idée; l'utiliser pour contrôler des accès dépend de ce qu'il y a derrière l'accès: un casier à la gare serait acceptable, votre bureau également, un appartement serait plus discutable, le coffre d'une banque est hors de question.


Je comprends l'intérêt de cette nouvelle technologie d'identification. Elle est simple, efficace et ne présente pas de problème en elle-même. Là où je suis beaucoup plus circonspect, c'est dans la nature des applications qui l'intégreront. Si on l'utilise là où elle n'a pas sa place, les conséquences pourraient être fâcheuses. Il faut absolument éviter de répéter le fiasco des RFIDs qui sont parfaits pour tracer des marchandises dans un port ou un entrepôt, mais qui posent d'énormes problèmes technologiques et éthiques quand on les utilise pour identifier et authentifier des personnes. La RFID n'a pas sa place dans les passeports.

26 juil. 2007

La dictature de la croissance


Je n'écoute plus de musique en conduisant car elle influence trop mon comportement au volant. A la place, j'écoute des stations de radio parlée. Ce faisant, je suis tombé l'autre jour sur une discussion entre un journaliste et un philosophe sur le thème de la croissance. Le philosophe dénonçait ce concept comme dictatorial et absurde. Son argumentaire m'a donné à réfléchir.


La croissance dont il est question ici est l'indicateur économique qui définit le taux de variation des richesses crées par un pays sur une année. Si ce taux est positif, alors le pays a créé plus de richesses que l'année précédente, il s'est enrichi. Si le taux est négatif, de la richesse a été perdue, le pays s'est appauvri. Puisque la quantité de richesse d'un pays est mesurée grâce au PIB (Produit Intérieur Brut), la croissance indique la variation du PIB dans le temps.


On parle de dictature de la croissance car en résumant toute une économie à ce seul indicateur, il devient le centre de toutes les attentions. La mécanique est la suivante: une économie qui fonctionne bien crée de la richesse, sa croissance affichée est positive; une économie qui va mal perd de la richesse, sa croissance stagne ou diminue. Dans le monde globalisé actuel, l'économie est devenu la jauge d'évaluation des sociétés humaines au détriment de toute autre considération. Si un pays veut donner l'image d'un partenaire prospère et attrayant, il lui faut afficher une bonne croissance. Il fait donc tout pour agir sur elle, parfois au mépris des conséquences. C'est cette approche du «tout pour la croissance» qui donne l'impression d'une dictature.


Piloter un pays les yeux rivés sur la croissance engendre deux dérives. D'abord, des actions sont entreprises pour avoir rapidement des effets sur la croissance. C'est une pression qui vient des calendriers politiques: les résultats doivent être visibles dans une législature; c'est le royaume du «Quick and dirty». Ensuite, on agit pour faire varier les chiffres, pas forcément pour changer ce qu'ils représentent. Par exemple, il existe deux façons de diminuer le chômage: soit en créant des places de travail, soit en disqualifiant des chômeurs.


Pour qu'un système économique soit performant, il doit témoigner d'une croissance positive. Pour qu'il soit stable, elle doit être perpétuelle. Mais comment soutenir une croissance infinie dans un environnement fini, la Terre? Puisque les ressources de la planète sont limitées, est-il responsable de promouvoir sur l'ensemble du globe une approche économique qui ne peut subsister à long terme? Le philosophe de la radio soutenait que l'omniprésence de la croissance était de l'inconscience; c'est ce qui m'a donné à réfléchir. Alors que je conduisait, une image m'est venue à l'esprit: celle d'une voiture lancée à pleine vitesse face à un mur.


Le mur est toutefois encore très loin, à peine visible. Dans ces conditions, il est difficile de convaincre qu'il faut faire quelque chose pour éviter le pire. L'histoire récente nous a pourtant enseigné que, même lointaines, les limites sont atteintes un jour. Les réserves mondiales de pétrole apparemment infinies n'auront durées qu'un siècle et demi.


Outre une myopie volontaire, les économistes rejettent l'incompatibilité d'une croissance infinie dans un monde fini car ils considèrent que la croissance est le fait des progrès techniques. De leur point de vue, les progrès techniques créent de nouvelles richesses par des biens nouveaux (comme les services) qui ne sont plus basés sur une ressource naturelle et qui ne sont donc pas limités en volume. C'est vrai pour les biens eux-mêmes, mais leur exploitation sera d'une façon ou d'une autre basée sur une ressource limitée (énergie, matière première, élément chimique, etc.). Par conséquent, l'environnement de l'économie est plus que jamais un espace fini qui ne peut soutenir une croissance infinie.


Que faire alors? Certains prônent la mise en place urgente d'une logique de décroissance. Puisque les ressources sont limitées, il faut les économiser pour les faire durer, indéfiniment si possible. L'inconvénient de cette approche est qu'elle n'est pas déployable aujourd'hui. Elle ne semble pas réaliste dans le contexte économique actuel. Je pense même que les milieux économiques ne veulent pas en entendre parler tant les concepts qu'elle véhicule sont aux antipodes des théories courantes.


Une direction plus prometteuse serait de tendre vers une croissance modérée. Plutôt que d'essayer de maximiser la croissance, il vaudrait mieux chercher des taux que l'ensemble de la planète pourra soutenir. C'est certainement moins efficace que la décroissance, mais c'est plus réaliste.


En fait, il existe une troisième voie. Plutôt que de restreindre la croissance, pourquoi ne pas étendre l'environnement de l'économie en allant chercher des ressources ailleurs que sur Terre? Malheureusement, l'économie actuelle n'est pas capable de financer le programme de colonisation spatial qui serait nécessaire. N'est-ce pas ironique?

17 juil. 2007

Les formats de fichier propriétaires


Il y a quelques mois, j'ai reçu de ma commune une communication officielle par courrier électronique. L'effort pour entrer dans le monde des communications modernes était louable, malheureusement je n'ai pas pu lire le contenu du document. En effet, il était au format doc de Microsoft et je n'ai pas Office sur mon Mac. Lorsque j'ai demandé le document dans un autre format, mon correspondant m'a proposé un fax à la place, alors qu'il existe d'autres solutions. Voilà un exemple parfait des effets pervers des formats de fichier propriétaires.


Imaginez-vous en train d'écrire une lettre avec un stylo, du papier et des lunettes. Le stylo et les lunettes sont d'un genre spécial: ils sont appairés l'un à l'autre. Les lunettes ont la capacité de faire apparaître les lettres tracées par le stylo. Pour que votre correspondant puisse lire la lettre, il devra lui aussi posséder une paire de lunettes équivalente. Cette situation vous semble saugrenu? Et bien les formats de fichier propriétaires ont exactement le même effet!


Les formats propriétaires mettent en place un mécanisme d'enfermement du consommateur: un auteur investit dans un outil pour exprimer sa créativité; grâce à lui, il produit quelque chose sous la forme d'un fichier; il transmet sa production à un tiers pour partager les fruits de son travail; pour en profiter, le tiers a besoin du même outil que l'auteur car il est le seul capable d'ouvrir le fichier; le tiers n'a d'autre choix que d'acheter le même logiciel. Au final, l'éditeur du logiciel réalise une vente forcée sans aucun effort de sa part.


Ce «succès» de l'éditeur (la vente d'une licence supplémentaire) est en réalité la conséquence d'une défaillance du logiciel. En effet, du point de vue de l'utilisateur, le logiciel n'est pas capable de partager de l'information avec d'autres outils, ce qui est une faiblesse indéniable. La vie de l'utilisateur serait grandement facilité s'il lui était possible de faire passer ses fichiers d'un outil à un autre sans difficulté. Malheureusement, pour l'éditeur, un fichier qui voyage trop facilement est autant d'occasions manquées de conclure une vente. Il entrave donc la circulation des données grâce à un format de fichier qu'il est le seul à connaître, garantissant ainsi une faible circulation et la nécessité de passer par lui pour en profiter. Il prend ses utilisateurs en otage.


Ce procédé est injuste et contre-productif. D'abord parce qu'on achète un logiciel pour de mauvaises raisons: il s'impose car il comprend une catégorie de fichiers, pas parce que ses fonctionnalités rendent les services qu'attendent les utilisateurs; c'est ainsi qu'on se retrouve avec des logiciels médiocres, mais incontournables par leur format de fichier. Ensuite, parce que cette approche n'incite pas les éditeurs à améliorer leurs logiciels. Pourquoi feraient-ils des efforts lorsque leur format de fichier a enfermé les utilisateurs et a éliminé toute concurrence? Leur objectif est de placer la première licence. Pris au piège, l'utilisateur ne peut plus aller voir ailleurs.


Les formats de fichier ouverts sont un bon moyen de contrecarrer les éditeurs et de reprendre nos prérogatives de consommateur. Au contraire des formats propriétaires qui sont définis en secret en diffusant le moins d'information possible, les formats ouverts sont définis par la communauté, au grand jour. Leur objectif premier est de favoriser la circulation de l'information en fournissant toutes les indications nécessaires à la construction d'outils les supportant. Ils sont taillés pour rendre service à l'utilisateur, laissant le soin aux outils de se démarquer les uns des autres par les fonctionnalités qu'ils proposent. L'innovation est encouragée, l'utilisateur n'est plus esclave du format de fichier et peut choisir l'outil qui lui convient en toute indépendance.


Malheureusement, le piège des formats de fichier propriétaires est mal connu. Beaucoup d'utilisateurs tombent dans le panneau sans s'en rendre compte. Il faut acquérir de bons réflexes pour réagir face aux formats propriétaires. D'abord, il faut connaître les formats ouverts disponibles. Ensuite, chaque fois que vous recevez un document qui n'emploie pas un de ces formats (un fichier Word, par exemple), répondez à votre interlocuteur en lui expliquant qu'il vous a envoyé un fichier dans un format propriétaire non portable et demandez qu'il vous le renvoie dans un autre format en lui indiquant quelques possibilités. Finalement, quand c'est vous qui choisissez le format, privilégiez les formats ouverts chaque fois que c'est possible (Open Office est une bonne alternative à Microsoft Office).


C'est à nous, consommateurs, d'agir pour faire savoir aux éditeurs que nous ne voulons pas de leurs formats propriétaires. Nous devons nous battre pour récupérer les prérogatives qui sont les nôtres. Après tout, les éditeurs de logiciels devraient produire des outils pour nous rendre service, pas pour leur rendre service.

5 juil. 2007

Morale économique


Le procès des anciens dirigeants de Swissair s'est terminé il y a quelques semaines par un acquittement général. Tout ce petit monde a dilapidé plus de 3 milliards de francs suisses de fonds publics, il a gâché des milliers d'emplois en Suisse, en France et en Belgique et a dissimulé quatorze milliards de dette. Les dirigeants n'ont toutefois pas été reconnus responsable de l'écroulement de la compagnie aérienne. Ils ont provoqué d'énormes dégâts autour d'eux, mais rien de punissable dans le monde économique. L'incompétence n'est pas un crime.


Pour le citoyen, une telle impunité ne semble pas normale. En effet, si les risques ne sont pas assumés par ceux qui les prennent, comment prévenir les abus? Risquer les emplois ou l'argent des autres implique de grandes responsabilités et des comptes à rendre. Or ce n'est pas le cas dans le monde des affaires. Prendre de tels risques et échouer semble normal. Mais est-ce bien moral?


La notion de moralité mérite quelques éclaircissements avant de poursuivre. Qu'est-ce que la morale? Je propose l'acception commune qui définit la morale comme l'ensemble des règles de conduite admises dans l'intérêt d'une société. On lui attribue également la tâche de différencier le bien du mal; ce qui est moral va dans le sens du bien. On considère même la morale comme un devoir. Il faut faire le bien pour obtenir une société florissante.


Malheureusement cette définition de la morale n'est pas compatible avec les objectifs de l'économie. En effet, cette dernière a pour principal but la création de richesses. Toutefois, les richesses créées ne profitent pas à l'ensemble de la société mais uniquement à ceux qui ont investi. C'est un système individualiste qui va à l'encontre de l'altruisme requis pas la morale décrite plus haut. L'incompatibilité est flagrante.


Il faut donc une autre définition de la morale qui soit applicable à l'économie. La discipline qui fixe les fondements de la morale s'appelle l'éthique. C'est elle qui définit les valeurs qui serviront de points de référence aux règles de conduite incluses dans la morale. Ces valeurs varient d'une morale à une autre. Par exemple, le respect de la nature est une valeur primordiale chez les peuplades d'Amazonie contrairement à nous. Elles ne prélèvent dans la forêt que ce dont elles ont besoin, nous prélevons tout ce que nous pouvons.


Quelles valeurs faudrait-il intégrer à la morale économique? La première qui me vient à l'esprit est la vertu du long terme. Aujourd'hui, l'immense majorité des décisions sont prises à court terme. On veut voir immédiatement leurs résultats. Entre un gain médiocre rapide et un meilleur gain repoussé dans le temps, la préférence est donnée au résultat immédiat. En vingt ans, le «long terme» est passé de 5 ans à 7 mois. Une reconsidération du long terme permettrait de responsabiliser l'économie quand aux conséquences des choix qu'elle fait. Il ne serait plus acceptable de faire un bénéfice à court terme au prix d'une détérioration future. Je ne citerai qu'un exemple: les biocarburants. La solution envisagée à court terme aujourd'hui est de remplacer les carburants fossiles par des phytocarburants. Malheureusement, les conséquences d'une telle manoeuvre sont largement négligées. Quid de la concurrence entre l'agriculture pour les transports et l'agriculture alimentaire? Qu'est-ce qui est plus important, ce déplacer ou manger? Et puis où réquisitionner les surfaces nécessaires au surcroît de culture? Il serait utile d'évaluer en détail les conséquences avant de se lancer tête baissée.


La seconde valeur qu'on pourrait intégrer est celle de la vie des gens. Les mécanismes qui sous-tendent l'économie sont basés sur la notion de transaction. Par conséquent tout ce qui n'a pas d'équivalent pécuniaire ne trouve pas sa place dans le système économique. Il est impossible d'entreprendre un échange basé sur le bien-être de la population ou le bonheur d'un groupe de personnes. Quand on se rend compte que les acteurs économiques sont des gens et qu'on reconnaît que l'on passe l'essentiel de notre énergie à rechercher le bonheur, cette absence n'est pas très normale. Pour être en accord avec notre nature, le système économique devrait intégrer la valeur du bien-être.


Toutes ces questions convergent vers un très vieux débat: l'économie est-elle un moyen ou une fin? Certains considèrent que des efforts doivent être consentis pour que l'économie se porte bien. La conséquence espérée étant que cette bonne santé se répercute sur la population et lui profite d'une façon ou d'une autre. Par conséquent les acteurs économiques oeuvrent pour positionner des indicateurs (croissance, chômage) en se préoccupant peu des moyens ou des conséquences. On ne peut pas dire que cette approche ait donné de bons résultats car l'écart entre les riches et les pauvres ne cesse d'augmenter. Fort de ce constat, d'autres placent l'homme au premier plan et considèrent l'économie comme l'un des moyens d'atteindre le bonheur. Malheureusement, cette position ne fonctionnera que si les fondements de la morale économique sont révisés.