Morale économique
Le procès des anciens dirigeants de Swissair s'est terminé il y a quelques semaines par un acquittement général. Tout ce petit monde a dilapidé plus de 3 milliards de francs suisses de fonds publics, il a gâché des milliers d'emplois en Suisse, en France et en Belgique et a dissimulé quatorze milliards de dette. Les dirigeants n'ont toutefois pas été reconnus responsable de l'écroulement de la compagnie aérienne. Ils ont provoqué d'énormes dégâts autour d'eux, mais rien de punissable dans le monde économique. L'incompétence n'est pas un crime.
Pour le citoyen, une telle impunité ne semble pas normale. En effet, si les risques ne sont pas assumés par ceux qui les prennent, comment prévenir les abus? Risquer les emplois ou l'argent des autres implique de grandes responsabilités et des comptes à rendre. Or ce n'est pas le cas dans le monde des affaires. Prendre de tels risques et échouer semble normal. Mais est-ce bien moral?
La notion de moralité mérite quelques éclaircissements avant de poursuivre. Qu'est-ce que la morale? Je propose l'acception commune qui définit la morale comme l'ensemble des règles de conduite admises dans l'intérêt d'une société. On lui attribue également la tâche de différencier le bien du mal; ce qui est moral va dans le sens du bien. On considère même la morale comme un devoir. Il faut faire le bien pour obtenir une société florissante.
Malheureusement cette définition de la morale n'est pas compatible avec les objectifs de l'économie. En effet, cette dernière a pour principal but la création de richesses. Toutefois, les richesses créées ne profitent pas à l'ensemble de la société mais uniquement à ceux qui ont investi. C'est un système individualiste qui va à l'encontre de l'altruisme requis pas la morale décrite plus haut. L'incompatibilité est flagrante.
Il faut donc une autre définition de la morale qui soit applicable à l'économie. La discipline qui fixe les fondements de la morale s'appelle l'éthique. C'est elle qui définit les valeurs qui serviront de points de référence aux règles de conduite incluses dans la morale. Ces valeurs varient d'une morale à une autre. Par exemple, le respect de la nature est une valeur primordiale chez les peuplades d'Amazonie contrairement à nous. Elles ne prélèvent dans la forêt que ce dont elles ont besoin, nous prélevons tout ce que nous pouvons.
Quelles valeurs faudrait-il intégrer à la morale économique? La première qui me vient à l'esprit est la vertu du long terme. Aujourd'hui, l'immense majorité des décisions sont prises à court terme. On veut voir immédiatement leurs résultats. Entre un gain médiocre rapide et un meilleur gain repoussé dans le temps, la préférence est donnée au résultat immédiat. En vingt ans, le «long terme» est passé de 5 ans à 7 mois. Une reconsidération du long terme permettrait de responsabiliser l'économie quand aux conséquences des choix qu'elle fait. Il ne serait plus acceptable de faire un bénéfice à court terme au prix d'une détérioration future. Je ne citerai qu'un exemple: les biocarburants. La solution envisagée à court terme aujourd'hui est de remplacer les carburants fossiles par des phytocarburants. Malheureusement, les conséquences d'une telle manoeuvre sont largement négligées. Quid de la concurrence entre l'agriculture pour les transports et l'agriculture alimentaire? Qu'est-ce qui est plus important, ce déplacer ou manger? Et puis où réquisitionner les surfaces nécessaires au surcroît de culture? Il serait utile d'évaluer en détail les conséquences avant de se lancer tête baissée.
La seconde valeur qu'on pourrait intégrer est celle de la vie des gens. Les mécanismes qui sous-tendent l'économie sont basés sur la notion de transaction. Par conséquent tout ce qui n'a pas d'équivalent pécuniaire ne trouve pas sa place dans le système économique. Il est impossible d'entreprendre un échange basé sur le bien-être de la population ou le bonheur d'un groupe de personnes. Quand on se rend compte que les acteurs économiques sont des gens et qu'on reconnaît que l'on passe l'essentiel de notre énergie à rechercher le bonheur, cette absence n'est pas très normale. Pour être en accord avec notre nature, le système économique devrait intégrer la valeur du bien-être.
Toutes ces questions convergent vers un très vieux débat: l'économie est-elle un moyen ou une fin? Certains considèrent que des efforts doivent être consentis pour que l'économie se porte bien. La conséquence espérée étant que cette bonne santé se répercute sur la population et lui profite d'une façon ou d'une autre. Par conséquent les acteurs économiques oeuvrent pour positionner des indicateurs (croissance, chômage) en se préoccupant peu des moyens ou des conséquences. On ne peut pas dire que cette approche ait donné de bons résultats car l'écart entre les riches et les pauvres ne cesse d'augmenter. Fort de ce constat, d'autres placent l'homme au premier plan et considèrent l'économie comme l'un des moyens d'atteindre le bonheur. Malheureusement, cette position ne fonctionnera que si les fondements de la morale économique sont révisés.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire