25 août 2007

La revanche de la nature


Je viens de lire un article concernant les OGM qui se voulait alarmiste mais qui ne faisait qu'enfoncer des portes ouvertes. Il y était question des plantes génétiquement modifiées pour résister à un désherbant total et qui sont cultivées dans le monde. Le côté alarmiste provenait du fait que dans ces cultures, des mauvaises herbes commençaient également à résister à l'herbicide. Si cette constatation est inquiétante pour certains, je pense qu'elle est parfaitement explicable et surtout inévitable.


Des phénomènes similaires existent dans d'autres domaines. Par exemple, tout le monde a déjà entendu parler des antibiotiques inefficaces face à certaines bactéries devenues résistantes. En fait, les bactéries ne deviennent pas résistantes, il se trouve juste que toutes celles qui sont vulnérables aux antibiotiques disparaissent pour laisser la place à celles qui exceptionnellement ne le sont pas. Ces dernières se multiplient en transmettant leur caractère résistant et finissent par prendre toute la place, rendant les antibiotiques inopérants. L'exceptionnelle résistance d'un nombre infinitésimal de bactéries devient la généralité grâce à la sélection qu'opèrent les antibiotiques.


C'est la même chose avec les maladies nosocomiales, ces infections qui surviennent à l'hôpital. Elles sont très dangereuses car les agents infectieux qui les provoquent ne peuvent survivre dans le milieu hostile qu'est l'hôpital que s'ils ont une résistance supérieure à la normale aux mesures de désinfection. Ceux qui ne l'ont pas disparaissent, les autres restent et prolifèrent. Si bien que lorsqu'ils infectent un patient, il devient très difficile de passer outre leur résistance pour les éliminer. Encore une fois il s'agit d'une sélection.


Le cas de l'agriculture demande une mise en place préalable. Disons qu'une firme d'agrochimie invente un désherbant qui élimine tous les végétaux sans distinction. Puis elle modifie génétiquement des céréales pour les rendre résistantes à ce désherbant. Elle vend ensuite les semences aux agriculteurs en vantant leur côté pratique: il suffit de pulvériser toutes les cultures sans distinction avec l'herbicide, seules les céréales survivront; c'est redoutable de simplicité. La firme gagne sur tous les tableaux en vendant le désherbant et les semences. Et comme ces dernières sont stériles à la deuxième génération, l'agriculteur doit acheter des semences à chaque saison.


Tout se passe bien jusqu'à ce qu'une mutation génétique aléatoire rende une souche de mauvaise herbe résistante à l'herbicide. Comme pour les bactéries, il n'existent au départ qu'une infime minorité de mauvaises herbes aptes à résister. Mais comme toutes les autres sont détruites, la souche résistante se reproduit sans concurrence et finit par envahir le champ. C'est ainsi que l'agriculteur se retrouve avec les mauvaises herbes décrites dans l'article du début, suite à un simple mécanisme de sélection.


Une course à l'armement impossible à gagner est alors engagée. Si la firme d'agrochimie veut conserver ses profits, elle doit réagir. Elle le fait donc dans le domaine qu'elle connaît et applique une recette qui fonctionne: mettre au point un nouveau désherbant total qui détruit aussi les plantes résistantes; modifier encore les céréales pour les rendre immunes à ce nouveau désherbant; inonder le marcher. Le problème est que la nature est aussi très habile dans la modification génétique. Elle le fait d'ailleurs depuis bien plus longtemps que l'homme, avec plus de succès. Il ne faudra donc pas longtemps avant qu'une nouvelle génération de plantes parasites résistantes fasse sont apparition en provoquant le démarrage d'un nouveau cycle. Il n'est pas possible de gagner. L'expériences des hôpitaux montre que malgré des efforts considérables, il est impossible d'éliminer complètement les infections nosocomiales.


Que faire alors?


D'abord, pourquoi faudrait-il détruire complètement les mauvaises herbes? On le fait aujourd'hui pour maximiser les rendements, héritage d'une agriculture intensive qui a montré ses limites. Sur le même modèle que «les antibiotiques, c'est pas automatique», on pourrait ne se servir de désherbant que lorsque les mauvaises herbes sont réellement une menace. De cette façon, on mettrait quelques bâtons dans les roues de la sélection des mauvaises herbes; moins elle s'exprime, moins elle favorisera les souches résistantes. En n'utilisant des antibiotiques que lorsqu'ils sont nécessaires, on protège leur efficacité sur les bactéries tout en ne sélectionnant pas une population résistante. Il faut conserver l'exceptionnel exceptionnel.


On pourrait aussi utiliser les mécanismes de défense que la mature a mis au point. Utiliser des animaux friands des herbes qu'on cherche à éliminer; favoriser la prolifération des insectes mangeurs de parasites des cultures; contrôler la population d'insectes en invitant leurs prédateurs naturels. Les solutions que nous propose la nature sont éprouvées, elles fonctionnent. Elles ont le seul tort de ne pas être assez efficaces aux yeux des industriels. Mais faut-il être efficace à tout prix?


Les réticences de l'agriculture et de l'industrie agrochimique dans une approche plus symbiotique des cultures sont malvenues et surtout hypocrites. En effet, une grande partie des procédés impliqués dans l'agriculture échappe totalement à l'homme sans qu'il y trouve à redire. Par exemple, la pollinisation qui assure les récoltes de céréales et de fruits est entièrement prise en charge par les insectes, sans contrôle. Et ça fonctionne très bien.

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